jeudi 27 octobre 2011

Une tumeur gingivale atypique



Atypical gingival tumor
Y. Jeblaoui*, S. Haddad, N. Ben Neji, G. Besbes
Service d’otorhinolaryngologie et de chirurgie maxillofaciale, CHU La-Rabta,
1007 Tunis, Tunisie
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Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
Observation
Mlle M.Z., aˆge´e de 32 ans, ope´re´e d’une tume´faction maxillomandibulaire
gauche a` l’aˆge de sept ans, a e´te´ hospitalise´e
pour exploration d’une tume´faction gingivale droite, e´voluant
depuis trois mois, sans notion d’alte´ration de l’e´tat
ge´ne´ral.
La tume´faction e´tait jugale droite oblongue, ferme, indolore,
mesurant 7 cmde grand axe et peu mobile (fig. 1a). En bouche,
une tumeur gingivale bourgeonnante occupait les secteurs
pre´molomolaires supe´rieur et infe´rieur droits (fig. 1b). Une
mauvaise hygie`ne buccale avec halitose e´tait note´e. Cette
tumeur e´tait ferme, homoge`ne, indolore, peu mobile, sessile,
de surface lisse, recouverte par une muqueuse rose´e d’aspect
normal, sans ulce´rations, ni induration pe´riphe´rique.
La patiente e´tait e´dente´e a` gauche. A`
droite, deux pre´molaires
mobiles e´taient enfouies dans la tumeur. La mastication
et l’e´locution e´taient entrave´es. Le reste de l’examen
clinique e´tait sans particularite´. Le bilan biologique montrait
une ane´mie ferriprive.
Figure 1. a Tume´faction jugale droite importante. b Aspect bourgeonnant polylobe´ de la tumeur gingivale.
* Auteur correspondant.
e-mail : jeblaouiyassine@yahoo.fr (Y. Jeblaoui).
Rec¸u le :
28 aouˆt 2007
Accepte´ le :
25 fe´vrier 2008
Disponible en ligne
24 avril 2008
Images
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0035-1768/$ - see front matter _ 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
10.1016/j.stomax.2008.02.002 Archives de Pe´diatrie 2008;109:194-196
A`
la radiographie panoramique, on notait la pre´sence du coˆte´
droit d’une oste´olyse de tout l’os alve´olaire avec quelques
dents « suspendues » (fig. 2a). La tomodensitome´trie a
confirme´ la pre´sence d’une volumineuse masse tissulaire,
prenant le contraste de fac¸on he´te´roge`ne et ame´nageant
plusieurs lobes se´pare´s par des septa, se rehaussant de fac¸on
intense (fig. 2b).
L’exe´re`se chirurgicale de la le´sion a e´te´ re´alise´e sous anesthe
´sie ge´ne´rale avec extraction de toutes les dents concerne
´es. L’examen anatomopathologique a montre´ une
muqueuse gingivale reveˆtue par un e´pithe´lium malpighien
ulce´re´ et un tissu de granulation richement vascularise´,
inflammatoire, comportant essentiellement des plasmocytes,
des polynucle´aires neutrophiles et des e´osinophiles. Le
chorion pre´sentait des remaniements fibrohyalins, des foyers
he´morragiques et de larges plages de plasmocytes.
Les suites ope´ratoires ont e´te´ banales, mais la patiente a
ensuite e´te´ perdue de vue.
Quel est votre diagnostic ?
Une tumeur gingivale atypique
Figure 2. a Panoramique dentaire montrant la lyse de tout l’os alve´olaire.
b Tomodensitome´trie montrant une tumeur polylobe´e, prenant le
contraste et se de´veloppant en vestibulaire et en palatin, refoulant la
langue du coˆte´ oppose´.
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Re´ponse
Le diagnostic retenu a e´te´ celui d’une e´pulis ge´ante.
tymologiquement, l’e´pulis est une le´sion qui sie`ge a` la
surface des gencives (e´pi = dessus, oulon = gencive). C’est
une pseudotumeur be´nigne hyperplasique et circonscrite des
gencives, de nature inflammatoire et qui re´pondrait a` un
phe´nome`ne irritatif [1–3].
Les e´pulis ge´antes sont exceptionnelles dans les pays occidentaux
et ne diffe`rent des autres e´pulis que par leur
volume. Il n’existe aucune diffe´rence sur le plan anatomopathologique
entre les deux entite´s [4].
Le diagnostic est d’abord clinique, mais seul l’examen histologique
permet un diagnostic pre´cis et rassure sur l’absence
de malignite´ [1,2]. Certains carcinomes e´pidermoı ¨des peuvent
se pre´senter sous la forme d’une e´pulis « banale ».
On distingue quatre types histologiques d’e´pulis :
_ inflammatoire ;
_ vasculaire ;
_ fibreux ;
_ l’e´pulis a` cellules ge´antes ou mye´loplaxes [1,3].
Le cas de notre observation correspond a` une e´pulis inflammatoire.
Guillaume de Plaisance semble avoir fait la premie`re description
d’e´pulis ge´ante en 1279. Il de´crit « une tumeur
fongueuse plus grosse qu’un oeuf d’oie au niveau de la
gencive de la maˆchoire » [4].
Cette pathologie atteint le plus souvent des patients de sexe
fe´minin, qui consultent pour une tume´faction de la face avec
une geˆne a` l’e´locution et la mastication [4].
L’affection est toujours indolore, sans durete´ ligneuse ou
induration, ni ade´nopathies satellites [1].
Le sie`ge de cette pseudotumeur est plus souvent maxillaire
que mandibulaire et plus vestibulaire que palatin ou lingual
[4].
L’e´tiopathoge´nie reste mal connue, mais elle re´sulterait de la
re´paration imparfaite d’une le´sion gingivale. L’e´pulis ge´ante
est souvent associe´e a` une ane´mie, a` une hypere´osinophilie
d’origine parasitaire, ou a` l’impre´gnation oestroge´nique de
la grossesse et a` une mauvaise hygie`ne buccodentaire [1,3,4].
Cantaloube et al. comparent cette le´sion a` une cicatrice
che´loı¨de et pensent qu’il s’agit d’une de´viation du processus
normal de cicatrisation [4].
L’e´pulis est une tumeur a` point de de´part alve´olaire osseux,
meˆme si l’expression clinique est muqueuse. Pour cette
raison, le traitement doit prendre en compte les trois
composantes : osseuse, dentaire et muqueuse [5].
L’imagerie permet de pre´ciser l’e´tendue de la destruction
alve´olaire et d’orienter la conduite vis-a`-vis des dents adjacentes
susceptibles de pre´senter une alve´olyse importante,
ne´cessitant leur avulsion.
Le traitement de l’e´pulis est chirurgical : c’est l’ablation
de la tumeur, de son pe´dicule et de sa base d’implantation
avec un curetage soigneux de l’os alve´olaire pathologique
[1,5].
Ambroise Pare´ (1510–1590) a de´crit cette technique : « il faut
la lier et la serrer avec un fil double, jusqu’a` ce qu’elle tombe
puis en caute´riser la racine, sans quoi elle reviendrait » [4].
Les facteurs d’irritation locale paraissent de´terminants
et doivent donc eˆtre supprime´s (tartre, carie, racine
re´siduelle. . .). Une attention particulie`re doit eˆtre porte´e a`
l’hygie`ne buccodentaire [1,5].
Re´fe´rences
1. Ben Slama L. Panorama des principales affections de la
muqueuse buccale. Paris: Aventis; 2003.
2. Ben Slama L, Szpirglas H. Pathologie de la muqueuse buccale.
Paris: E´ditions Scientifiques et Me´dicales Elsevier. EMC; 1999,
Livre et CD-ROM.
3. Ennibi OK, Benfdil F, Taleb B, Amrani M, Benzarti N. Les e´pulis :
aspects cliniques, histopathologiques et the´rapeutiques. Acta
Odontol Stomatol 1999;207:367–76.
4. Cantaloube D, Larroque G, Ndiaye R, Rives JM, Seurat P. Quelques
cas d’e´pulis ge´antes observe´es en Afrique de l’Ouest. Rev
Stomatol Chir Maxillofac 1987;88:461–6.
5. Vaillant L, Goga D. Dermatologie Buccale. Paris: Doin E´ diteurs;
1997.

Une tumeur exceptionnelle chez un nourrisson


Unusual tumor localization in a 3 month-old baby
H. Belajouza1,*, A. Slama1, R. Moatemri1, M. Bouzaı ¨ene2, M. Belghith3,
A. Nouri3, H Khochtali1
1Service de stomatologie et chirurgie maxillofaciale, CHU Sahloul, Sousse, Tunisie
2Service de stomatologie et chirurgie maxillofaciale, CHU T.-Sfar, Mahdia, Tunisie
3Service de chirurgie pe´diatrique, CHU F.-Bourguiba, Monastir, Tunisie
Un nourrisson, aˆge´ de trois mois, de sexe masculin,
sans ante´ce´dent pathologique notable, a pre´sente´
une tume´faction du rebord alve´olaire maxillaire
gauche, apparue a` l’aˆge de deux mois, augmentant rapidement
de volume et geˆnant la succion.
Cette tume´faction, de 2 cm de diame`tre, qui soulevait la
le`vre supe´rieure et le seuil narinaire, e´tait indolore et non
inflammatoire (fig. 1).
L’e´tat ge´ne´ral du be´be´ e´tait conserve´, les aires ganglionnaires
cervicales libres, et le reste de l’examen clinique normal.
La tomodensitome´trie (fig. 2) montrait une oste´olyse maxillaire
parame´diane gauche, arrondie, de 18 mm de diame`tre et bien
limite´e. La matrice le´sionnelle, de densite´ tissulaire, se rehaussait
le´ge`rement apre`s injection de produit de contraste.
L’exploration chirurgicale, sous anesthe´sie ge´ne´rale, a mis en
e´vidence une tumeur ferme, blanchaˆtre, qui lors de la rupture
accidentelle de la paroi, a donne´ issue a` un tissu noiraˆtre
(fig. 3). L’exe´re`se de la le´sion a e´te´ suivie d’un curetage appuye´.
La pie`ce ope´ratoire a e´te´ adresse´e au laboratoire pour examen
anatomopathologique.
Quel est votre diagnostic ?
Figure 1. Tume´faction du rebord
alve´olaire maxillaire gauche soulevant
la le`vre supe´rieure et le seuil narinaire.
Figure 2. TDM en coupe axiale montrant une
oste´olyse maxillaire parame´diane gauche, arrondie,
bien limite´e, de densite´ tissulaire, se rehaussant
le´ge`rement apre`s injection de produit de contraste.
Figure 3. Photo perope´ratoire montrant l’issu d’un
tissu noiraˆtre lors de la rupture accidentelle de la
paroi tumorale.
* Auteur correspondant.
e-mail : hedibelajouza@yahoo.fr
0035-1768/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
10.1016/j.stomax.2006.12.003 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:243-244
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L’examen anatomopathologique a montre´ qu’il s’agissait
d’un progonome me´lanotique (tumeur neuroectodermique
me´lanotique), une tumeur be´nigne exceptionnelle. Environ
200 cas ont e´te´ rapporte´s dans la litte´rature.
Cette tumeur, de´crite en 1966 par Borello et Gorlin, re´sulterait
de la persistance anormale de cellules de la creˆte neurale
au niveau des maxillaires [1].
Actuellement l’origine neuroectodermique est admise par
l’OMS et repose sur des arguments biochimiques, histochimiques
et embryologiques [1].
La tumeur atteint surtout le nourrisson de moins de six
mois, mais peut eˆtre diagnostique´e chez l’adulte. Il n’y a
pas de pre´dilection de race ou de sexe [2].
Cliniquement la le´sion est indolente, avec une agressivite´
locale et une e´volution rapide tre`s caracte´ristique [3]. La
tume´faction est recouverte d’une muqueuse saine, posse`de
une consistance e´lastique et n’est pas fixe´e aux plans
profonds. L’existence d’une coloration pourpre, brune ou
meˆme bleue-noire peut e´ventuellement orienter le diagnostic.
La localisation habituelle hors syste`me nerveux central
est le maxillaire supe´rieur, mais les os du craˆne, la mandibule,
le fe´mur, l’e´pididyme, l’ute´rus, l’ovaire ou encore le
me´diastin peuvent e´galement eˆtre atteints [4].
L’examen tomodensitome´trique de´crit classiquement une
le´sion hypodense entoure´e d’une scle´rose marginale, sans
calcification ni he´morragie et non rehausse´e apre`s injection
du produit de contraste [2].
Du point de vue the´rapeutique, la majorite´ des auteurs
optent pour une chirurgie conservatrice, l’e´nucle´ation avec
curetage permettant la gue´rison dans la majorite´ des cas et
minimisant les risques de troubles de la croissance [1, 3-5].
C’est l’examen histologique qui donne le diagnostic de certitude.
On retrouve une population mixte, faite de cellules
rondes e´voquant par leur morphologie des neuroblastes et
des cellules polye´driques pigmentaires contenant des charges
me´laniques et ressemblant aux cellules pigmentaires
de l’e´pithe´lium re´tinien [2]. Les re´actions immunochimiques
s’ave`rent utiles au diagnostic. La biochimie re´ve`le fre´quemment
une e´le´vation du taux d’acide vanylmande´lique
(VMA), qui se normalise apre`s exe´re`se de la tumeur,
comme c’est le cas pour les autres tumeurs de´rivant de la
creˆte neurale telles que le neuroblastome, le ganglioneuroblastome
et le phe´ochromocytome [3]. Cette augmentation
du taux de VMA n’est toutefois pas pathognomonique.
Dans notre observation, le dosage du taux de VMA urinaire
en postope´ratoire e´tait normal, et ce a` plusieurs reprises.
Le diagnostic diffe´rentiel doit eˆtre pose´ avec le sarcome
d’Ewing, l’ame´loblastome le lymphome malin ou encore le
neuroblastome primitif, ou me´tastatique.
La be´nignite´ de cette tumeur doit eˆtre relativise´e ; en effet,
on a note´ la pre´sence de me´tastases dans 3 % des cas. Le
taux de re´cidives est d’environ 15 %, elles apparaissent dans
80 % des cas au cours des six mois suivant l’intervention
[5]. Elles re´sultent tre`s probablement du caracte`re incomplet
de l’exe´re`se chirurgicale.
Les suites ope´ratoires chez notre patient ont e´te´ simples et
l’enfant n’a pre´sente´ aucune re´cidive en deux ans de suivi.
Re´fe´rences
1. Aka GK, Adou A, Crezoit GE, Coulibaly N, Konan E, Assa A,
et al. Progonome me´lanotique : a` propos de trois cas. Rev Stomatol
Chir Maxillofac 1994;95:73–5.
2. Volk MS, Nielsen GP. Case records of the Massachusetts General
Hospital. Weekly clinicopathological exercises. Case 7-
2001–A male infant with a right maxillary mass. N Engl J
Med 2001;344:750–7.
3. Dilu NJ, Bobe A, Sokolo MR. Progonome me´lanotique : a` propos
d’une volumineuse tumeur du nourisson. Rev Stomatol
Chir Maxillofac 1998;99:103–5.
4. Johnson RE, Scheithauer BW, Dahlin DC. Melanotic neuroectodermal
tumor of infancy: a review of seven cases. Cancer
1983;52:661–6.
5. Belajouza H, Slama A, Moatemri R, Bouzaiene M, Belghith M,
Nouri A, et al. Epididymal melanotic neuroectodermal tumor
of infancy. Hum Patholo 1985;16:416–20.