mardi 1 novembre 2011

Une atteinte cutan o-muqueuse



I. Loeb1, M. Shahla1, D. Delplace2, J. André2, J. Demaubeuge2
1Service de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-faciale, CHU St-Pierre, Bruxelles, Belgique.
2Service de Dermatologie (Prof. M. Song), CHU St-Pierre, Brugmann et HUDERF, Bruxelles, Belgique.
Correspondance :
I. Loeb,
Service de Stomatologie et Chirurgie
Maxillo-faciale, CHU St-Pierre,
1000 Bruxelles, Belgique.
Un homme de 27 ans, originaire dAfrique du Nord, est
admis au service des urgences pour une stomatite
étendue accompagnée dune conjonctivite, de lésions
génitales et dune rhabdomyolyse majeure. ہ lanamnèse, on
note que ce patient a été placé, quelques jours avant lhospitalisation,
sous antibiotiques, Céfadroxil (Duracef􀂣), et spray
buccal désinfectant, pour une angine. Les antécédents médicaux
du patient sont sans particularité. Il signale cependant un
épisode de stomatite modérée il y a un an.
Lexamen clinique décrit la présence dune stomatite touchant
lensemble de la cavité buccale avec des érosions recouvertes
de membranes blanc-jaunâtres au niveau lingual et jugal principalement,
des croûtes sur les lèvres, des lésions maculopapuleuses
et bulleuses au niveau du dos, de labdomen, des
jambes et de la verge. Les lésions cutanées se présentent sous
la forme de maculo-papules avec centre vésiculeux sur une
couronne érythémateuse périphérique. Une conjonctivite bilatérale
est observée. Le patient est légèrement fébrile. Le reste
de lexamen est par ailleurs normal, le patient ne signalant
aucune douleur musculaire.
La biologie montre une perturbation des tests hépatiques
(augmentation des SGOT et des SGPT) et une très importante
augmentation de la créatine-kinase (> 300 000 u.i.), qui traduit
une rhabdomyolyse sévère (myosite) (fig. 1 à 4).
Quel est votre diagnostic ?
1 2





3
4
I. Loeb et al. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2006;107:121-123
122












Réponse
Il sagit dun érythème polymorphe à localisation cutanéomuqueuse,
associé à une conjonctivite et une myosite
majeure.
L’érythème polymorphe buccal (EPB) est une maladie bulleuse
aiguë, qui comprend 3 entités cliniques différentes : l’érythème
polymorphe (EP), l’érythème pigmenté fixe (EPF) et le syndrome
de Stevens Johnson (SSJ) [1, 2].
Cest laspect clinique différent des lésions cutanées dans ces
3 affections qui permet de les distinguer, les lésions buccales
étant quant à elles semblables.
LEP est rapporté dans le monde entier, sans prédilection ethnique.
Il survient à tout âge mais plus fréquemment chez
ladulte jeune entre 20 et 30 ans. Lhomme et la femme sont
indifféremment atteints. La phase prodromique est faite de
signes cliniques généraux tels que pyrexie, myalgies, arthralgies
ou atteintes diverses de la sphère ORL. Elle est suivie
dune éruption cutanéo-muqueuse dont limportance et la
localisation sont très variables. Latteinte cutanée, habituelle
dans lEP, est caractérisée par une lésion typique, dite en
« cocarde », qui permet habituellement de poser le diagnostic.
Il sagit dune lésion bulleuse ou nécrotique évoluant sur une
couronne périphérique érythémateuse (papule ou macule). La
localisation des lésions cutanées comprend classiquement les
extrémités des membres et le visage, le tronc étant le plus
souvent respecté. Latteinte buccale est caractérisée par des
érosions profuses qui prennent sur le versant cutané des
lèvres un aspect croûteux caractéristique. La muqueuse buccale
présente, au niveau des joues, de la langue et du palais de
larges érosions polycycliques rapidement recouvertes dun
enduit blanc-jaunâtre de type fibrino-leucocytaire. Lorsque les
muqueuses génitales sont touchées, latteinte est semblable
à celle des muqueuses buccales. Une conjonctivite congestive
bilatérale avec hémorragie sous conjonctivale est souvent
associée aux lésions précédemment décrites. Les lésions oculaires
peuvent saccompagner de graves complications telles
que des ulcérations cornéennes, une iridocyclite voire de
panophtalmie [3].
Lexamen histologique montre la présence dun décollement
intra- ou sous-épidermique. Il existe un oedème du derme ainsi
quun infiltrat mononucléé, et on retrouve de nombreux kératinocytes
nécrobiotiques dans les couches les moins différenciées
de l’épiderme. Limmunofluorescence directe est négative.
L’étiologie la plus fréquemment décrite est virale et lagent
retrouvé est principalement le virus de lHerpes Simplex
(HSV1-HSV2) [4]. Ce virus est responsable de près de 50 % des
EP mineurs, qui sont volontiers récidivants. Cinq jours séparent
en moyenne la récurrence herpétique de la poussée dEP.
Le second virus incriminé dans lEP est le Mycoplasme Pneumoniae.
Il sagit alors le plus souvent dune forme majeure
dEP survenant chez lenfant dans le décours dune pneumonie
à Mycoplasme. De nombreux autres agents infectieux
peuvent être responsables dEP, parmi lesquels les plus fréquents
sont : les streptocoques, chlamydia, salmonelles, histoplasme
ou dermatophytes. Certains médicaments peuvent
également être à lorigine dEP. Il sagit principalement de
sulfamides, anti-inflammatoires (pyrazolé), anticonvulsivants
(phénobarbital, hydantoïnes, carbamazépine), tétracyclines
et acide acéthylsalicylique. Enfin notons que des
affections comme les lymphomes, le lupus érythémateux, la
maladie de Crohn ou certaines néoplasies sont parfois responsables
dEP.
Du point de vue thérapeutique, il faut procéder à larrêt de la
prise de lagent causal sil est identifié et à la prise en charge de
la cause éventuelle si elle est reconnue. Les traitements locaux à
base de bain de bouche antiseptique (Eludril􀂣), peuvent améliorer
l’évolution des lésions [1]. Pour atténuer les douleurs souvent
importantes, lusage danesthésiques locaux type xylocaïne est
recommandé. La prescription dopiacés est parfois nécessaire.
Ladministration de corticoïdes par voie générale (prednisone
0,5 mg/kg/jour) qui améliore le confort du patient, est préconisée
dans les formes sévères.
Notre patient a bénéficié dune mise au point complète qui
na pas permis didentifier dagent infectieux causal. Un prélèvement
a été réalisé au niveau dune lésion de la face antérieure
de la cuisse et lexamen anatomo-pathologique a
confirmé le diagnostic d’érythème polymorphe (décollement
dermo-épidermique, kératinocytes nécrobiotiques intra-épidermiques,
infiltrat dermique mononuclées). Limmunofluorescence
directe était négative. Un traitement local a été
instauré, à base de bain de bouche de bicarbonate (80 mg),
borate (40 mg) et salycilate (20 mg), combinés à lapplication
de KMNO4 sur les lésions cutanées et de vaseline sur les
lèvres. Par voie générale le patient a bénéficié dun traitement
constitué de corticoïdes (Methylprednisolone, Medrol􀂣
64 mg/jour puis doses dégressives) et dantibiotiques (Lévofloxacine,
Tavanic􀂣 500 mg 2x/jour), par crainte de surinfection.
Une évolution favorable a rapidement été observée avec
une amélioration clinique et une normalisation des tests sanguins.
La rhabdomyolyse majeure observée chez notre patient et qui
a progressivement régressé était probablement dorigine
virale.
Une atteinte cutan o-muqueuse
123
Références
1. Vaillant L, Hüttenberger B. Maladies bulleuses acquises de la
muqueuse buccale. Rev Stomatol Chir Maxillo-Fac, 2005;106:
287-97.
2. Vaillant L. Lésions bulleuses. In: Vaillant L, Goga D. Dermatologie
buccale. Doin Ed, Paris,1997:75-86.
3. Blanc F, Civatte J. Pathologie de l’épiderme et de la jonction dermoépidermique
(bulloses). In : Piette E, Reychler H. Traité de pathologies
buccale et maxillo-faciale. De Boeck Ed, Bruxelles, 1991:281-3.
4. Farthing P, Bagan JV, Scully C. Mucosal disease series. Number IV.
Erythema multiforme. Oral Dis, 2005;11:261-7.
5. Lozada-Nur F, Gorsky M, Silverman S. Oral erythema multiforme:
clinical observations and treatment of 95 atients. Oral Surg Oral
Med Oral Pathol, 1989;67:34-40.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire