I. Loeb1, M. Shahla1, D. Delplace2, J. André2, J.
Demaubeuge2
1Service de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-faciale, CHU
St-Pierre, Bruxelles, Belgique.
2Service de Dermatologie (Prof. M. Song), CHU St-Pierre, Brugmann
et HUDERF, Bruxelles, Belgique.
Correspondance :
I. Loeb,
Service de Stomatologie et Chirurgie
Maxillo-faciale, CHU St-Pierre,
1000 Bruxelles, Belgique.
Un homme de 27 ans, originaire d’Afrique du Nord, est
admis au service des urgences pour une stomatite
étendue
accompagnée d’une conjonctivite, de lésions
génitales
et d’une
rhabdomyolyse majeure. ہ l’anamnèse, on
note que ce patient a été placé, quelques jours avant l’hospitalisation,
sous antibiotiques, Céfadroxil (Duracef), et spray
buccal désinfectant,
pour une angine. Les antécédents médicaux
du patient sont sans particularité. Il signale cependant un
épisode de
stomatite modérée il y a un an.
L’examen
clinique décrit la
présence d’une stomatite touchant
l’ensemble
de la cavité buccale
avec des érosions
recouvertes
de membranes blanc-jaunâtres au niveau lingual et jugal principalement,
des croûtes sur
les lèvres, des
lésions
maculopapuleuses
et bulleuses au niveau du dos, de l’abdomen, des
jambes et de la verge. Les lésions cutanées se présentent sous
la forme de maculo-papules avec centre vésiculeux sur une
couronne érythémateuse périphérique.
Une conjonctivite bilatérale
est observée. Le
patient est légèrement fébrile. Le reste
de l’examen
est par ailleurs normal, le patient ne signalant
aucune douleur musculaire.
La biologie montre une perturbation des tests hépatiques
(augmentation des SGOT et des SGPT) et une très importante
augmentation de la créatine-kinase (> 300 000 u.i.), qui traduit
une rhabdomyolyse sévère (myosite) (fig. 1 à 4).
Quel est votre diagnostic ?
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I. Loeb et al. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2006;107:121-123
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Réponse
Il s’agit d’un érythème
polymorphe à
localisation cutanéomuqueuse,
associé à une conjonctivite et une myosite
majeure.
L’érythème polymorphe buccal (EPB) est une maladie
bulleuse
aiguë, qui
comprend 3 entités
cliniques différentes :
l’érythème
polymorphe (EP), l’érythème pigmenté fixe (EPF) et le syndrome
de Stevens Johnson (SSJ) [1, 2].
C’est l’aspect clinique différent des lésions cutanées dans
ces
3 affections qui permet de les distinguer, les lésions buccales
étant
quant à elles
semblables.
L’EP est
rapporté dans le
monde entier, sans prédilection
ethnique.
Il survient à tout âge mais plus fréquemment chez
l’adulte
jeune entre 20 et 30 ans. L’homme et
la femme sont
indifféremment
atteints. La phase prodromique est faite de
signes cliniques généraux tels que pyrexie, myalgies, arthralgies
ou atteintes diverses de la sphère ORL. Elle est suivie
d’une éruption cutanéo-muqueuse dont l’importance
et la
localisation sont très variables. L’atteinte
cutanée,
habituelle
dans l’EP, est
caractérisée par une lésion typique, dite en
« cocarde », qui permet habituellement de poser le
diagnostic.
Il s’agit d’une lésion bulleuse ou nécrotique évoluant sur une
couronne périphérique érythémateuse
(papule ou macule). La
localisation des lésions
cutanées
comprend classiquement les
extrémités des membres et le visage, le tronc étant le plus
souvent respecté. L’atteinte buccale est caractérisée par des
érosions
profuses qui prennent sur le versant cutané des
lèvres un
aspect croûteux
caractéristique.
La muqueuse buccale
présente, au
niveau des joues, de la langue et du palais de
larges érosions
polycycliques rapidement recouvertes d’un
enduit blanc-jaunâtre de
type fibrino-leucocytaire. Lorsque les
muqueuses génitales
sont touchées, l’atteinte est semblable
à celle
des muqueuses buccales. Une conjonctivite congestive
bilatérale avec
hémorragie
sous conjonctivale est souvent
associée aux lésions précédemment décrites. Les lésions oculaires
peuvent s’accompagner
de graves complications telles
que des ulcérations
cornéennes,
une iridocyclite voire de
panophtalmie [3].
L’examen
histologique montre la présence d’un décollement
intra- ou sous-épidermique.
Il existe un oedème du
derme ainsi
qu’un
infiltrat mononucléé, et on
retrouve de nombreux kératinocytes
nécrobiotiques
dans les couches les moins différenciées
de l’épiderme.
L’immunofluorescence
directe est négative.
L’étiologie
la plus fréquemment
décrite est
virale et l’agent
retrouvé est
principalement le virus de l’Herpes
Simplex
(HSV1-HSV2) [4]. Ce virus est responsable de près de 50 % des
EP mineurs, qui sont volontiers récidivants. Cinq jours séparent
en moyenne la récurrence
herpétique de
la poussée d’EP.
Le second virus incriminé dans l’EP est le
Mycoplasme Pneumoniae.
Il s’agit
alors le plus souvent d’une forme
majeure
d’EP
survenant chez l’enfant
dans le décours d’une pneumonie
à
Mycoplasme. De nombreux autres agents infectieux
peuvent être
responsables d’EP, parmi
lesquels les plus fréquents
sont : les streptocoques, chlamydia, salmonelles, histoplasme
ou dermatophytes. Certains médicaments peuvent
également être à l’origine d’EP. Il s’agit principalement de
sulfamides, anti-inflammatoires (pyrazolé), anticonvulsivants
(phénobarbital,
hydantoïnes,
carbamazépine…), tétracyclines
et acide acéthylsalicylique.
Enfin notons que des
affections comme les lymphomes, le lupus érythémateux, la
maladie de Crohn ou certaines néoplasies sont parfois responsables
d’EP.
Du point de vue thérapeutique,
il faut procéder à l’arrêt de la
prise de l’agent
causal s’il est
identifié et à la prise en charge de
la cause éventuelle
si elle est reconnue. Les traitements locaux à
base de bain de bouche antiseptique (Eludril), peuvent améliorer
l’évolution
des lésions
[1]. Pour atténuer les
douleurs souvent
importantes, l’usage d’anesthésiques locaux type xylocaïne est
recommandé. La
prescription d’opiacés est parfois nécessaire.
L’administration
de corticoïdes par
voie générale (prednisone
0,5 mg/kg/jour) qui améliore le confort du patient, est préconisée
dans les formes sévères.
Notre patient a bénéficié d’une mise
au point complète qui
n’a pas
permis d’identifier
d’agent
infectieux causal. Un prélèvement
a été réalisé au
niveau d’une lésion de la face antérieure
de la cuisse et l’examen
anatomo-pathologique a
confirmé le
diagnostic d’érythème polymorphe (décollement
dermo-épidermique,
kératinocytes
nécrobiotiques
intra-épidermiques,
infiltrat dermique mononuclées…). L’immunofluorescence
directe était négative. Un traitement local a été
instauré, à base de bain de bouche de bicarbonate (80 mg),
borate (40 mg) et salycilate (20 mg), combinés à l’application
de KMNO4 sur les lésions
cutanées et de
vaseline sur les
lèvres. Par
voie générale le patient a bénéficié d’un traitement
constitué de
corticoïdes
(Methylprednisolone, Medrol
64 mg/jour puis doses dégressives) et d’antibiotiques
(Lévofloxacine,
Tavanic 500 mg
2x/jour), par crainte de surinfection.
Une évolution
favorable a rapidement été observée avec
une amélioration
clinique et une normalisation des tests sanguins.
La rhabdomyolyse majeure observée chez notre patient et qui
a progressivement régressé était
probablement d’origine
virale.
Une atteinte cutan o-muqueuse
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Références
1. Vaillant L, Hüttenberger
B. Maladies bulleuses acquises de la
muqueuse buccale. Rev Stomatol Chir Maxillo-Fac, 2005;106:
287-97.
2. Vaillant L. Lésions
bulleuses. In: Vaillant L, Goga D. Dermatologie
buccale. Doin Ed, Paris,1997:75-86.
3. Blanc F, Civatte J. Pathologie de l’épiderme et de la jonction
dermoépidermique
(bulloses). In : Piette E, Reychler H. Traité de pathologies
buccale et maxillo-faciale. De Boeck Ed, Bruxelles, 1991:281-3.
4. Farthing P, Bagan JV, Scully C. Mucosal disease series. Number
IV.
Erythema multiforme. Oral Dis, 2005;11:261-7.
5. Lozada-Nur F, Gorsky M, Silverman S. Oral erythema multiforme:
clinical observations and treatment of 95 atients. Oral Surg Oral
Med Oral Pathol, 1989;67:34-40.
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